Le sanglier dans tous ses états! Chapitre troisième: Interviews (#3) – Georges Camard, ancien chasseur
Le sanglier est au porc commun ce que le football gaélique est à son populaire cousin. Il en est la version débridée, hargneuse mais respectueuse, ancrée dans une culture ancestrale. Dans cette série de quatre articles, nous avons décidé de vous révéler les secrets de celui qu’on nommait jadis la Bête Noire. Vous apprendrez à le reconnaître et le comprendre. Vous le connaîtrez tour à tour mythique, craint, caché, chassé. Vous le trouverez à la table du banquet gaulois, dans les mots de ceux qui l’ont croisé, dans le cœur de ceux qui le portent fièrement, en jaune et noir…
A travers cette série d’interviews, nous avons voulu donner la parole à ceux qui ont côtoyé le sanglier à travers leur métier ou leur pratique de la chasse. Georges Camard est un garagiste à la retraite. Habitant des Côtes d’Armor, il a longtemps chassé le sanglier dans les Pyrénées Orientales. A bientôt 83 ans, il nous raconte ses souvenirs de chasse…
Où allais-tu chasser le sanglier ?
J’ai chassé le sanglier dans les Pyrénées Orientales.
Ça a commencé assez bizarrement… J’ai connu un monsieur qui m’a fait rencontrer le président d’une société de chasse à laquelle j’ai adhéré. Ça se passait dans le domaine d’Amélie les Bains, qui est frontalier de l’Espagne. J’étais dans un poste très, très haut dans la montagne. J’ai vu de la neige, j’ai vu plein de choses… sauf des sangliers ! En fait les postes les plus favorables étaient attribués à des gens de la « haute volée » de Perpignan, eux aussi adhérents de la société.
Plus tard, j’ai eu un deuxième contact avec les chasseurs de sangliers. Avec ma femme on s’est retrouvés assez bizarrement en contact avec un monsieur qui venait chercher des canards dans une ferme dans la commune de Montbolo (Pyrénées Orientales).
Le tenancier de la ferme me dit : “Georges, demande donc à chasser, il y a le président de la chasse qui est là !”. Moi, je n’osai pas trop lui demander. On commence à parler de la chasse, et on finit par boire un coup ensemble. Parallèlement à ça il y avait un feu de montagne. Un feu assez important : ça a commencé par quelques fumées ; et puis le feu grandissant on a vu les canadairs et tout ça, il y avait 200 pompiers sur le coin. Le fameux président de la chasse m’a alors dit que c’était dommage parce que c’était un de leurs territoires de chasse et que les sangliers ne risquaient pas de revenir de sitôt…
On a commencé à parler de chasse tout en buvant un coup. Et puis j’ai réussi à lui demander si je pouvais rejoindre leur société de chasse. “Mais oui, m’a-t-il dit, le problème c’est qu’on est contingenté, on n’a pas le droit de… On est limités à un certain nombre de chasseurs, parce que les étrangers…” En fait il ne me voulait pas. C’était sûr mais il n’osait pas le dire. Mais il m’a dit : “Écoutez, revenez me voir l’année prochaine, on verra ce qu’on peut faire”.
Je me suis pointé l’année suivante :
“Monsieur vous m’aviez dit qu’il était possible de rentrer dans la société…
– Oui, en fait, à l’assemblée générale je n’ai pas fait part de votre demande à la société… Je suis très embêté.”
Il a alors dit au secrétaire de l’association : “fais lui donc une carte” ; l’air de dire : “il va payer sa cotisation, il va nous foutre la paix”. C’est ce que j’ai fait. Seulement ça a duré 20 ans !
C’était une société catalane. J’étais le seul non-catalan de l’équipe. On ne manquait d’ailleurs pas de me le faire remarquer à chaque fois qu’il fallait. Mais, chemin faisant, j’ai réussi à me faire de bons amis là-bas, amis que j’ai toujours d’ailleurs. J’ai continué à chasser jusqu’il y a quelques années, quand j’ai eu quelques problèmes de santé.
Comment chassiez-vous le sanglier ?
Les sangliers c’est une population de suidés, une espèce plus ou moins cousine des cochons. La chasse au sanglier ne se fait qu’en battues organisées, soit sur des territoires communaux, soit sur des terrains loués à l’Office national des forêts (ONF). Des postes de chasse sont clairement définis. Il faut dire qu’on a des armes assez redoutables, qui peuvent porter à 4500 m ! Tout le monde est placé de façon à ce que tu ne puisses pas tirer sur quelqu’un.
Quand j’ai débuté les battues on s’arrêtait à cinq cochons [cinq sangliers pour tout le groupe, ndlr]. Les cochons étaient débités puis partagés. Chacun repartait avec sa part.
Chassiez-vous seulement des sangliers sauvages ou y avait-il des sangliers introduits pour la chasse ?
Seulement des sangliers sauvages. Il y a eu, paraît-il, il y a un certain nombre d’années, une peste porcine où les sangliers avaient quasiment disparu. Des sangliers avaient alors été importés de l’étranger. Leurs petits se sont croisés avec d’autres. A la limite quelquefois on ne sait plus trop si on a affaire à un cochon ou à un sanglier. Il y a des mélanges de races. Le sanglier mâle est seul en principe. Il ne sort que lorsque les femelles sont en chasse [à la recherche d’un mâle, ndlr]. Ce n’est pas comme les mecs, les mecs ils sortent toujours. Rires.
Dans les Pyrénées Orientales, ils vivent dans le massif du Canigou, une zone montagneuse uniquement plantée de chênes verts. Les sols sont couverts de glands, il y a donc énormément à manger pour eux. Selon d’où vient le vent (Espagne ou France), on est parfois presque certain qu’on ne croisera pas un sanglier. Et puis, à force de côtoyer les chasseurs, on arrive à remarquer un certain nombre de choses. Avant l’âge de 60 ans, je n’avais jamais vu un sanglier de près. Et depuis j’en ai quand même tué un certain nombre. Une fois j’ai même fait un doublé. Deux sangliers. Pom ! Pom ! Mais bon, c’est assez rare.
Ils courent vite ?
Ils courent très vite ! En principe quand ils sont seuls, le jour tu ne les vois pas. Ils sont tapis dans un coin et ils ne bougent pas. Quand ils ont les chiens au cul ça change la donne.
Que faisiez vous avant et après les parties de chasse ?
Ça commençait par le matin. On buvait un petit coup, un “petit coup de jus”. Le territoire de chasse était indiqué par le responsable. On chassait en tout avec 50 chiens. Les chiens appartenaient à des propriétaires. On faisait des battues le mercredi, le samedi et le dimanche. Et quelques fois on faisait deux battues par jour. Il y en a tellement [de sangliers, ndlr]. Heureusement qu’ils sont chassés de façon intensive, parce que s’il n’étaient pas chassés aussi sévèrement il n’existerait plus un pied de vigne dans le Roussillon ; ils saccagent tout ! Le territoire de chasse étant délimité, il y a un certain nombre de poches de chasse qui sont définies par avance, parce qu’on sait où passe le sanglier, toujours au même endroit. Il ne faut pas être dans la lune. Moi ça m’est arrivé d’en louper. Etant donné que j’ai une petite déficience auditive, il est arrivé que je ne l’entende pas venir. Au moment où tu le vois, boum, il passe comme une balle et, manque de pot, c’est trop tard ! Tu ne sais pas qu’il vient, mais lui il t’a sentit depuis longtemps !
Quand on entend trois coups de trompette ça veut dire que la chasse est finie. Ça veut aussi dire qu’il faut décharger ton fusil et le mettre sous gaine. Tu n’as pas le droit de circuler avec un fusil. Même le porter sur l’épaule tu n’as pas le droit, même s’il est déchargé. C’est un délit.
Après la chasse, on rentre au pavillon, on mange, et puis on débite les sangliers. Il y en a qui restent veiller jusqu’au lendemain, lorsqu’on chasse le lendemain. Alors des fois, le soir, ils sont bourrés comme des coins. Rires. Il y a un avantage c’est que le poste de chasse est pas très loin du Perthus [commune à cheval entre la France et l’Espagne, ndlr] où le Pastis n’est pas cher. Moi je fais partie de la catégorie de ceux qui ne boivent pas.
Que peut-on faire à partir du sanglier ?
C’est un cochon, donc une viande maigre. Le problème c’est que quand tu as cinq sangliers de tués, il peut y en avoir des tout jeunes et des vieux. S’il y a vingt postes, on répartit vingt tas de sangliers. Mais dans ton lot de sanglier tu peux en avoir de plusieurs races différentes [qui ne se cuisinent pas de la même manière, ndlr].
Ça se prépare au civet ou en pâté. Moi j’ai fait les deux. Ce qui attire plus mon goût ce sont ceux qui ne dépassent pas cinquante kilos. Les vieux ça a un goût fort.
Que penses tu des critiques qui existent sur la chasse ?
Les plaignants et les “pignous” qui se plaignent qu’on tue les gibiers, c’est quelque fois les mêmes. Ils sont contre la chasse jusqu’au jour où les sangliers rentrent dans leurs propriété et saccagent tout. Là, du coup, ils deviennent pro-chasseurs.
Les endroits où ont lieu les chasses sont des zones où il n’y a aucune habitation. A Montbolo, la petite commune où se situe la société de chasse, il y a un jardin public. Dans ce secteur là, il y avait des mines de fer jusqu’avant la dernière guerre mondiale. Ils ont conservés un certain nombre de vestiges de la mine, des wagonnets, des cailloux de minerai et tout ça. Et puis des fleurs. Si les sangliers rentrent là-dedans, ils peuvent tout casser.
Il leur arrive quand même d’aller en ville. Il y en a eu sur les trottoirs à Amélie les Bains. Ils viennent surtout la nuit, quand il n’y a personne. Mis à part, le sanglier reste un animal sauvage.
As-tu déjà volontairement laissé un sanglier s’échapper ? Eu pitié ?
Non. Là où j’ai laissé passer des bêtes, c’était des chevreuils.
Pourquoi ?
Je ne sais pas, on se dit qu’on ne va pas lui enlever la vie…
Une petite anecdote pour finir ?
Un jour j’ai tiré un cochon. La chasse était à peine commencée, les chiens venaient d’être lancés. Tout à coup, je vois les fougères qui bougent. J’avais eu le temps de charger mon fusil. Je tire. Une fois, deux fois, trois fois ! Je tire quasiment comme une mitrailleuse. Il a pris deux balles sur trois. Manque de pot ce n’était pas un sanglier, c’était un cochon noir, échappé d’un élevage voisin.
On s’est moqué de moi : “ah là là un breton qui ne sait pas reconnaitre un cochon d’un sanglier !”. La propriétaire du cochon est venu le récupérer. On m’a dit “tu vas te faire engueuler !”. Moi je me disais que le cochon, ils n’avaient qu’à le garder dans l’enclos. Ça faisait un an qu’il s’était échappé ! La dame m’a demandé s’il avait souffert. Je lui ai dit : “je garantis, il n’a pas souffert”, mais en fait j’en savait rien. Elle me dit : “est-ce que vous en voulez un morceau ?”.Je lui ais dit non parce que ça ne m’intéressait pas. Il faut dire que le cochon quand je l’ai tué il était 8h30 le matin. On l’a récupéré à 1h de l’après-midi, il était gonflé comme un ballon de rugby !
Nous tenons à remercier Georges Camard d’avoir pris le temps de répondre à nos questions. Questions posées par Julien Camard [son petit-fils, ndlr].