Le sanglier dans tous ses états! Chapitre troisième: Interviews (#2) – Matthieu Salvaudon, Fédération nationale des chasseurs (FNC)

Le sanglier est au porc commun ce que le football gaélique est à son populaire cousin. Il en est la version débridée, hargneuse mais respectueuse, ancrée dans une culture ancestrale. Dans cette série de quatre articles, nous avons décidé de vous révéler les secrets de celui qu’on nommait jadis la Bête Noire. Vous apprendrez à le reconnaître et le comprendre. Vous le connaîtrez tour à tour mythique, craint, caché, chassé. Vous le trouverez à la table du banquet gaulois, dans les mots de ceux qui l’ont croisé, dans le cœur de ceux qui le portent fièrement, en jaune et noir…

A travers cette série d’interviews, nous avons voulu donner la parole à ceux qui ont côtoyé le sanglier à travers leur métier ou leur pratique de la chasse. Matthieu Salvaudon est Directeur adjoint du service Dégâts de grand gibier à la Fédération nationale des chasseurs (FNC). Il a accepté de répondre à nos questions sur ses missions et les réglementations liées à la chasse. Il nous a aussi expliqué les dégâts causés par le sanglier et les stratégie mises en place aux seins des fédérations de chasseurs pour les limiter.

Groupe de chasseurs
via chasseurdefrance.com (Site de la FNC)

La FNC et le service dégâts grand gibier

Bonjour, pouvez-vous vous présenter brièvement ?

Matthieu Salvaudon, Directeur adjoint du service Dégâts de Grand Gibier. Je suis ingénieur agronome (ENSA de Rennes) de formation.

Après 7 ans comme directeur adjoint (partie technique) de la Fédération départementale des chasseurs du Loiret, puis 10 ans comme directeur de la Fédération des chasseurs de Dordogne, j’ai rejoint à plein temps la Fédération nationale des chasseurs (FNC) en janvier 2018.

Ayant mes origines dans le monde agricole de Touraine, et étant d’une famille de chasseurs, je suis un observateur de la problématique des dégâts de gibier depuis longtemps.

Comment est organisée la Fédération nationale des chasseurs ? Quelles sont vos principales responsabilités et actions ?

La Fédération nationale des chasseurs, association agréée au titre de la protection de l’environnement, est chargée d’assurer la promotion et la défense de la chasse, ainsi que la représentation des intérêts cynégétiques [1] auprès des instances nationales et européennes. Elle assure la représentation des fédérations départementales et régionales des chasseurs au niveau national, et la coordination de leurs actions (en faveur de la biodiversité, gestion des dégâts de grand gibier aux cultures, sécurité, éducation à la nature etc.). La chasse rassemble en France plus de 5 millions de personnes dont 1,14 million de pratiquants annuels. Avec près de 70 000 associations de chasse, 94 fédérations départementales et 13 fédérations régionales, la chasse constitue l’un des réseaux ruraux les plus organisés de France. Pour en savoir plus, je vous invite à consulter http://chasseurdefrance.com/ et à suivre @ChasseursFrance sur Twitter.

La FNC est administrée par un conseil d’administration composé de 27 membres, élus pour 6 ans parmi les présidents des fédérations départementales et interdépartementales des chasseurs. Elle est dirigée par un bureau composé d’un président, de cinq vice-présidents, d’un secrétaire et d’un secrétaire adjoint, d’un trésorier et d’un trésorier adjoint. Ils sont élus pour 6 ans par les membres de l’assemblée générale de la FNC parmi le Conseil d’administration. Un bureau de 7 membres a été élu le 24 août 2016. Suite à une modification statutaire, 3 nouveaux membres ont été élus le 6 juin 2018.

L’assemblée générale comprend les présidents de toutes les fédérations départementales, interdépartementales et régionales des chasseurs adhérentes. Elle se réunit au moins une fois par an. Les représentants des associations de chasse spécialisée sont associés aux travaux de l’Assemblée générale.

La FNC emploie 35 salariés dont 14 ingénieurs hautement qualifiés, sous la direction du directeur général Nicolas Rivet. Ils sont répartis dans 6 services :

  • Administration générale
  • Juridique
  • Informatique
  • Communication
  • Dégâts grand gibier
  • Technique & Scientifique

Vous êtes directeur adjoint du service dégâts grand gibier à la FNC. De quoi votre service est-il chargé ? Quelles sont vos actions au quotidien ?

Le service dégâts de gibier de la FNC est chargé de coordonner la mission de service public, confiée en 2000 aux fédérations départementales des chasseurs, qui consiste à indemniser les dégâts commis sur les récoltes et cultures agricoles par le grand gibier (sanglier, cerf élaphe, chevreuil) ; mais aussi ceux liés au daim, cerf sika, chamois, isard, mouflon.

Nous sommes tout particulièrement chargés de la formation des estimateurs, qui agissent de manière neutre dans cette procédure.

Nous participons également aux instances nationales de concertation avec le monde agricole et l’Etat pour cadrer cette mission.

En particulier, nous siégeons en Commission nationale d’indemnisation (CNI). Celle-ci est chargée d’établir chaque année les fourchettes de barèmes des principales denrées ou travaux agricoles mais aussi d’étudier les dossiers en recours.

Une Assemblée générale de la FNC, octobre 2019
via chasseurdefrance.com

Le service dégâts FNC apporte son soutien aux Fédérations départementales des chasseurs (FDC) pour bien réaliser cette mission, en leur fournissant un logiciel métier spécifique et adapté aux besoins, dans le respect de la procédure en place. La FNC répond aux questions des FDC et les aide aussi à analyser et gérer des dossiers particuliers.

Le service dégâts de grand gibier suit également et appuie les FDC sur la partie gestion des espèces.

En particulier, elle coordonne – en collaboration avec le service juridique de la FNC – la partie Plan de chasse grand gibier, nouvelle mission de service publique confiée aux FDC l’été dernier. Rendu obligatoire en France en 1978 pour les espèces cerf et chevreuil (puis grand gibier de montagne), le plan de chasse assure le développement durable des populations de gibier et préserve leurs habitats, en conciliant les intérêts agricoles, sylvicoles et cynégétiques. Il s’agit d’attribuer pour un territoire donné, un quota maximal (et souvent aussi minimal) de spécimens d’une espèce à prélever pour une ou plusieurs saisons de chasse. En régulant les effectifs et en participant au financement des dégâts de gibier, nous garantissons une bonne gestion des équilibres naturels.

Mes actions au quotidien sont donc très diverses. L’appui auprès des Fédérations départementales y est omniprésent. De même que l’étude de dossiers pour préparer les différentes rencontres de concertation et les réunions institutionnelles.

La participation voire l’animation de réunions de groupe de travail fait partie de mes tâches régulières.  

De manière plus spécifique, j’organise également avec ma collègue administrative trois ou quatre stages de formations de candidats estimateurs, durant lesquels je prends en charge une partie de l’enseignement (partie théorique, partie pratique, évaluation). Pour la pratique, nous sommes appuyés par deux experts nationaux agricoles et fonciers, qui présentent un descriptif par type de culture.

Le sanglier et la chasse

Quel est le point de vue de la FNC en ce qui concerne le sanglier ?

Le constat est unanime et partagé par toutes les parties prenantes sur ce sujet : il y a plus de sangliers et moins de chasseurs.

La tendance sur le long terme est nette. Dans les années 70, un système d’indemnisations payées par les seuls chasseurs a été instauré. Depuis, ces dernières ont été multipliées par 10. Le tableau de chasse sanglier a lui été multiplié par 20. Les indemnisations des dégâts commis aux cultures agricoles par le sanglier représentent 85% des montants. En presque 30 ans, on a observé une baisse de 30% du nombre de chasseurs, alors que les indemnisations durant cette même période ont été multipliées par 3. Le coût relatif moyen par chasseur français a ainsi été multiplié par 5 !

Cette progression des sangliers s’explique par beaucoup de facteurs externes à la chasse. Par exemple, le réchauffement climatique induit une baisse de mortalités des jeunes en hiver avec la diminution du nombre de jours avec de fortes gelées et/ou de neige. Le retour de bonnes années en termes de fructifications apporte une nourriture abondante au sanglier, ce qui facilite sa reproduction. Les taux de reproduction progressant, la dynamique générale ne peut être qu’à la hausse. D’autant plus que, dans un grand nombre de secteurs, les populations de sangliers bénéficient de nombreuses cultures agricoles leur apportant à la fois nourriture et refuge, et ce tout au long de l’année.

Quelles sont les mesures mises en place pour réguler l’espèce sur le territoire ?

La principale mesure de « régulation » est d’abord de chasser, car c’est la chasse qui fait la très grosse part des tirs en France. Il est en effet prélevé autour de 750 000 sangliers par an depuis 2 saisons de chasse.

La chasse est plus compliquée lors de temps chauds et quand les feuilles sont encore présentes. Cela a été le cas ces dernières années lors des périodes automnales. C’est pourquoi il a été demandé par le monde de la chasse de pouvoir étendre la chasse sur le mois de mars afin de pouvoir maintenir la pression sur l’espèce là où il est nécessaire de le faire.

La réglementation nationale permet sur autorisation préfectorale des chasses à l’approche, affût (chasse dite silencieuse individuelle) ou en battue (souvent avec l’aide de chiens) à partir du 1er juin. Cela permet de chasser ponctuellement sur des secteurs où des dégâts  sont constatés. La chasse ouvre ensuite plus largement – souvent au 15 août ou en septembre – pour quelques départements.

Des mesures dites administratives, décidées par le préfet, sont possibles selon les départements afin de s’adapter au contexte local.

Quelles sont les dégâts (naturels, matériels) ou risques imputables au sanglier en France ?

“Des dommages peuvent être effectués également sur les récoltes prêtes à être moissonnées”
chassepassion.net

Les dégâts peuvent être de plusieurs ordres. J’évoquerai d’abord ceux qui peuvent être indemnisés par les fédérations, à savoir les dégâts aux récoltes et cultures agricoles. Ils peuvent intervenir à différents stades : dès le semis, notamment du maïs dont la graine est attractive pour les sangliers, mais aussi dans les phases de croissance de la plante. Les sangliers consomment alors ce qu’on appelle du “vert”, mais aussi et surtout les graines de céréales en phase de croissance (stade laiteux). La graine est alors molle et a un goût sucré très apprécié du sanglier. Des dommages peuvent être effectués également sur les récoltes prêtes à être moissonnées.

Sur les prairies, les sangliers peuvent faire également de gros dégâts avec leur groin pour aller chercher des vers qu’ils consomment. On dit alors qu’ils vermillent. Bien qu’ils ne soient pas alors indemnisables par les fédérations, ces vermillis ou boutis (zone plus restreinte) peuvent ainsi être observés sur des terrains de foot, des golfs, des pelouses de particuliers, des bords de route ou de voie ferrée, des ronds-points, etc.

Les sangliers peuvent également faire des dommages sur des systèmes d’irrigation, agricoles ou privés, de manière indirecte lorsqu’ils vermillent. En période de chaleur, ils sont à la recherche d’eau fraîche ainsi que de boue pour s’y rouler (thermo régulation et déparasitage, comme beaucoup d’autres animaux).

On peut aussi citer des dommages aux biens de particuliers. A titre d’exemples, l’endommagement d’un liner de piscine suite à une insolite baignade nocturne, mais aussi des clôtures de maison, etc.

Lorsqu’ils sont présents prêts de routes ou lors de leur déplacement, ils peuvent également être la cause de collisions qui peuvent causer de gros dommages aux véhicules. Comme pour tous les cas précités, le conducteur devra alors s’adresser à son assurance.

Quelles sont les principales règles encadrant la chasse au sanglier ?

La chasse au sanglier, comme toute chasse, est encadrée par un certain nombre de règles : dates d’ouverture et de fermeture de la chasse (comme décrit plus haut), modalités de chasse (types, munitions etc.) et sécurité.

Des cadrages nationaux sont ainsi dictés par le code de l’environnement. Il s’agit de nombreux arrêtés préfectoraux et du schéma départemental de gestion cynégétique, qui forment un ensemble de règles spécifiquement précisées pour s’adapter au contexte local de chaque département.

Le port d’effets fluorescents est une des mesures à respecter lors d’une chasse au sanglier.
chassecorreze.net

Ainsi, plusieurs éléments concrets doivent être respectés en matière de sécurité : le port d’effets fluorescents, le signalement des battues, l’obligation de tir à balle fichant (vers la terre), le respect d’angles de tir, etc. Ces règles sont largement communiquées aux chasseurs. Des formations sont organisées par les fédérations, pour passer le permis, former les responsables de battues ou mettre à jour les connaissances des chasseurs déjà pratiquants.

Que pensez-vous des critiques à l’égard de la chasse qui émergent dans le débat public ?

Dans un monde majoritairement urbain, les notions de vie et de mort des animaux sont souvent abstraites et éloignées de la réalité du monde naturel.

La violence de la chasse par la mise à mort d’un animal, très souvent décriée, est présente dans les chaînes alimentaires naturelles. Par sa nature, l’Homme fait partie des prédateurs. Il est ainsi un acteur principal des équilibres en tant que “supra prédateur” doué de raison, ce qui le distingue des autres prédateurs. Mais il est aussi un “perturbateur” des espaces naturels de par ses activités, notamment la production agricole ou la construction (habitat, zones industrielles, artisanales, commerciales etc.). Ainsi, l’Homme est partout. Le sanglier l’est aussi de plus en plus, car il s’adapte aisément aux changements qui s’imposent à lui. Il commet alors encore plus de dommages aux activités humaines comme j’ai pu l’expliquer.

La chasse est alors là pour réguler cette espèce en quantité, mais aussi enseigner aux sangliers la peur de l’homme, ce qui le fait s’éloigner des pôles d’activités humaines et y revenir moins vite.

Expliquer la chasse, notre passion, en toute transparence est notre moteur. Nous répondons à un grand nombre d’interview comme la vôtre pour remédier à ces manques d’informations auprès de citoyens non coutumiers de la chasse et leur apporter toute information utile.

Nous tenons à remercier Matthieu Salvaudon d’avoir pris le temps de répondre à nos questions. Questions posées par Julien Camard.

[1] Qui a rapport à la chasse