Le sanglier dans tous ses états! Chapitre deuxième : Mythologies et Gauloiseries

Le sanglier est au porc commun ce que le football gaélique est à son populaire cousin. Il en est la version débridée, hargneuse mais respectueuse, ancrée dans une culture ancestrale. Dans cette série de quatre articles, nous avons décidé de vous révéler les secrets de celui qu’on nommait jadis la Bête Noire. Vous apprendrez à le reconnaître et le comprendre. Vous le connaîtrez tour à tour mythique, craint, caché, chassé. Vous le trouverez à la table du banquet gaulois, dans les mots de ceux qui l’ont croisé, dans le cœur de ceux qui le portent fièrement, en jaune et noir…

Le sanglier est représenté dans bon nombre de mythologies à travers le monde. Au cours de l’histoire, il a symbolisé la force sauvage, les vertus du guerrier, la magie sacerdotale. On le dissocie rarement d’un personnage gaulois bougon quelque peu enveloppé

Le sanglier mythologique

Comme on a pu le voir dans l’article précédent, le sanglier est présent en nombre sur notre territoire. Au fil des siècles et des cultures, on le retrouve aussi à travers une multitude de récits mythologiques.

Commençons notre tour du monde par le peuple celte, auquel notre sport favori nous lie tout naturellement.

Dans la mythologie celtique, le sanglier est une figure sacrée et on le retrouve dans plusieurs écrits. Celui de Diarmaid et Grainné, qui figure au sein du Cycle Fenian de l’épopée Irlandaise, est sans doute le plus célèbre. Ces deux amants sont poursuivis par le vieux Finn.

Diarmaid et Grainné par J. Gilliland
mythologica.fr

Promise à Finn, Grainné a d’autres projets. Elle est éprise du valeureux guerrier Diarmaid et l’a soumise à un tabou, sorte de sortilège l’obligeant à la suivre. Plus tard, alors que la réconciliation semble en marche entre les familles de Diarmaid et Finn, ce dernier invite Diarmaid à une chasse. La cible ? Le sanglier magique de Ben Gulbain. Le guerrier accepte. Mais alors qu’il avait mortellement touché le suidé avec sa lance, Diarmaid se blesse au contact des « soies rudes et venimeuses » de l’animal, et succombe à ses blessures. Finn avait pourtant le pouvoir de soigner les blessures du jeune guerrier en le faisant boire dans ses mains, mais par deux fois il avait volontairement laissé s’échapper le précieux liquide à travers ses doigts. 

Le sanglier est un symbole guerrier dans beaucoup de cultures antiques. Chez les Celtes, des figures de sanglier ornent les casques et boucliers des guerriers. Le carnyx, trompette de guerre celtique et gauloise servant à mener les troupes dans la bataille, avait généralement un pavillon en forme de hure de sanglier. On retrouve la symbolique guerrière de l’animal, source d’invincibilité.

Le sanglier porte aussi une symbolique divine et magique dans la mythologique celte. Culhwch et Olwen est un des contes les plus anciens du Mabinogion [1]. Le jeune écuyer Culhwch souhaite épouser Olwen, fille du géant maléfique Ysbaddeden Bencawr. Ce dernier, condamné à mourir en cas de mariage de sa fille, impose au jeune homme une série d’épreuves impossibles. Culhwch demande alors l’aide du Roi Arthur et de ses meilleurs chevaliers. Une des épreuves consiste à attraper le dangereux Twrch Trwyth [2], sanglier redoutable qui tire son pouvoir du peigne, du rasoir et des ciseaux magiques qui sont emmêlés entre ses oreilles. Malheureusement, l’embuscade de Culhwch et Arthur en Irlande met le sanglier dans une rage folle. Traversant la mer en compagnie d’autres sangliers, le Twrch Trwyth ravage le Pays de Galles. Traversant à leur tour, les guerriers tuent les bêtes une à une. L’horrible bête résiste et se retrouve boutoir à nez avec Arthur, au sommet d’une falaise. Alors qu’ils chutent tous deux dans la mer, Arthur arrive à s’emparer des trois objets magiques [3]. Culhwch vient à bout de cette épreuve et de toutes les autres et épouse finalement Olwen, dont le père est décapité.

A présent, voyageons un peu pour atterrir en terre héllenique, théâtre d’une des mythologies les plus renommées.

Héraclès (le Hercule grec), souhaitant expier ses fautes [4], doit accomplir douze travaux tous plus difficiles les uns que les autres. Pour sa quatrième épreuve, il doit capturer le sanglier d’Erymanthe, une bête sauvage qui vit sur les pentes boisée du mont du même nom et qui terrifie les habitants d’Arcadie. A l’issue d’un banquet sanglant [5], Héraclès se met à la poursuite de l’animal dans la montagne enneigée. Au bout de plusieurs jours de traque, il fait preuve de ruse et parvient enfin à capturer l’animal. Il l’emporte vivant sur son dos jusqu’à Mycènes pour le livrer à Eurysthée, commanditaire des douze travaux. Le sanglier est tué sur place.

Hercule et le Sanglier d’Erymanthe, par Fransisco de Zurbarán (1634)
© Wikimedia Commons

Hercule, l’ayant enterré, alla à la recherche du sanglier, et l’ayant fait sortir d’un taillis, il le poursuivit avec des cris à travers la neige qui étoit fort haute, jusqu’à ce qu’il l’eut fatigué. Il le prit alors, le tua et le porta à Mycènes [6].

La Bibliothèque, Apollodore l’Athénien

Dans ce récit, le sanglier est peint comme opposé à l’humanité. Sa force indomptable et sa cruauté sont à nouveau soulignées dans la célèbre Iliade d’Homère, principal récit de la Guerre de Troie. Envoyé par la déesse Artémis pour punir Œnée, le sanglier de Calydon sème la pagaille dans cette région d’Etolie (Grèce centrale). Il faudra de nombreux héros venus des quatre coins de Grèce pour venir à bout de la bête et libérer la région.

L’Iliade fait aussi mention d’un casque aux défenses de sanglier. En 1870, l’archéologue allemand Heinrich Schliemann organise des fouilles dans la ville Turque d’Hissarlik, qui ne serait autre que la mythique Troie. Lors des recherches, des défenses de sanglier correspondant à la description faite par Homère sont retrouvées !

Les attributs du sanglier étaient portés dans l’Antiquité, que ce soit par les guerriers ou les gens du peuple. Les Mycéens (civilisation grecque de l’âge de bronze) avaient pour coutume de faire des amulettes avec les dents de sanglier. Chez les Celtes, elles accompagnaient certains personnages importants jusqu’à la tombe. A l’instar des sangliers des récits mythologiques, on confère au suidé des vertus magiques. C’est une des raisons qui en faisait un met de choix dans de nombreuses cultures.

Fibule d’un sanglier, IIe-IIIe siècle ap. J.-C. (bronze avec incrustations d’émail)
meisterdrucke.fr

Dès le 4ème siècle avant l’ère chrétienne, le sanglier est, avec le cheval et les monstres, l’un des principaux sujets des fibules zoomorphes celtiques. On le figure également sur des pièces de monnaie appartenant à un grand nombre de peuples celtiques qui s’étendirent des îles britanniques aux Carpates. Des statuettes de sanglier sont connues dans la totalité du monde celtique, c’est d’ailleurs le seul quadrupède sauvage qui soit si souvent représenté.

Le sanglier chez les Celtes, Breizhato.com

Le sanglier culturel

Que seraient les Gaulois, les vrais, sans le sanglier ? Pour la plupart, sensiblement les mêmes. Mais pas pour l’un des Gaulois les plus connus de la culture française : Obélix, héros enveloppé des aventures d’Astérix, série de bandes dessinées à succès de Goscinny et Uderzo [7]

Dans Astérix, le sanglier est bien moins redoutable. Sa fonction principale est d’être chassé par les deux compères et d’être – souvent rôti et tout entier – la star du banquet. Selon le magazine en ligne Slate, pas moins de 304 sangliers font leur apparition dans les 35 premiers albums d’Astérix [8]. Dans l’Odyssée d’Astérix, sorti en 1981, l’intrigue commence du point de vue des sangliers. Leurs paroles sont alors doublées par l’auteur « pour une meilleure compréhension du dialogue ».

La monodiète d’Obélix est souvent questionnée. Dans Astérix en Hispanie (1969), le jeune Pépé, fils du chef espagnol Soupalognon y Crouton, refuse catégoriquement d’en consommer, préférant le poisson, ce qui provoque l’incrédulité d’Obélix. Celui-ci n’est pas prêt à troquer le gibier pour un soupçon de repas équilibré. Que ce soient les champignons (Le Devin, 1972) ou le poisson (Astérix en Hispanie), rien ne vaut un bon sanglier rôti. Une exception s’il en fallait une, Obélix se régale en dégustant un poisson entier à la table des Pictes (Astérix chez les Pictes, 2013).

Dans Le Papyrus de César (2015), le couperet tombe pour Obélix : selon son horoscope, il doit éviter les conflits et diminuer les sangliers. C’en est trop ! Heureusement, le cartésianisme [9] de son compère de toujours l’aide à réaliser que cette restriction n’est pas viable. Pour Obélix, c’est donc sanglier matin, midi et soir !

Quid des gaulois, les vrais ? Le grand gibier, sanglier ou chevreuil, était très rare à leur table. Dimitri Tilloi-D’Ambrosi, auteur de L’Empire Romain par le Menu, révèle comment l’archéozoologie a permis de déconstruire cette idée reçue, alimentée entre autres par les aventures d’Astérix. Les recherches sur le terrain ont révélé que le petit gibier (lièvres, petits cervidés) était chassé. Mais que, bien plus fréquemment, ce sont les animaux d’élevage (vaches, porcs ou chèvres) qui étaient exploités pour leur chair ou leur lait. Les Gaulois consommaient aussi du poisson, des coquillages, des légumineuses, des céréales [10], des légumes et autres plantes.

L’auteur nous révèle par ailleurs que les Romains étaient friands de sanglier. Ils le chassaient, à l’image de l’empereur Hadrien et des parcs à sangliers rapportés par Pline l’Ancien. Sa consommation donnait lieu à des banquets, représentés sur certaines mosaïques, où le suidé était cuisiné de diverses façons. Le plus célèbre de ses banquets est le festin de Trimalcion, issu du Satiricon de Pétrone. L’animal y est présenté aux convives de manière spectaculaire à travers une mise en scène rappelant la chasse.

La gourmandise qu’il suscite est telle que des lois somptuaires sont adoptées pour limiter sa consommation

Dimitri Tilloi-D’Ambrosi pour le site d’Arkhe Editions

Le sanglier est donc une viande noble et, comble de l’Histoire, se retrouve bien plus souvent au menu des Romains que des Gaulois, à l’opposé de ce que suggèrent les planches de La Galère d’Obélix (visibles ci-dessous) ! De gustibus et coloribus non disputandum… [11]

On pourrait écrire bien des choses encore sur la place du sanglier au fil des âges et des croyances. Au Japon, il est le dernier des douze animaux zodiacaux. Troisième avatar de Vishnou dans la religion Hindoue, il sauve la Terre précipitée dans les eaux. Souvent opposé à l’ours, il représente les plus basses pulsions humaines dans les écrits bouddhiques et à travers certaines figures chrétiennes, non sans rappeler la force sauvage et destructrice du sanglier des écrits du grec Vigenère (XVIème siècle).

Depuis la nuit des temps (peut-être même depuis un peu plus tôt), le sanglier est représenté, craint, convoité, dégusté. Il a toujours sa place dans la culture moderne. Meurtrier de Robert Baratheon dans le premier tome de Game of Thrones, géant et guerrier dans Le Hobbit, représenté en sculpture à Sydney, en Belgique, dans le Lot etc. On aurait même vu Obélix à la poursuite de son repas sous un pont de Liffré…

Mur graffé à Liffré
Photo Bastien Fougère

[1] Quatre récits médiévaux, écrits en moyen gallois, faisant référence à la mythologie celtique de l’Antiquité

[2] Pas facile à dire…

[3] Dans un autre récit, Arthur accompagné de quelques chevaliers, se retrouve à nouveau face à un dangereux suidé: le sanglier d’Inglewood.

[4] On peut le comprendre : rendu fou par la déesse Héra, il venait de tuer ses enfants et sa femme.

[5] Sur la route de l’Arcadie, Héraclès bénéficie de l’hospitalité du centaure Pholos. Au cours du repas, Héraclès, assoiffé, demande à Pholos de lui servir du vin. Celui-ci refuse dans un premier temps car le breuvage est un bien commun des centaures, mais Héraclès finit par le convaincre. Attirés par l’odeur du vin, une horde de centaures armés s’approchent. Héraclès parvient à tous les éliminer à l’aide de flèches empoisonnées. Au cours de leur enterrement, Pholos s’empoisonne avec une des flèches. Chiron, un autre centaure, se blesse à un genou. Les horribles douleurs qu’il ressent le pousse à demander au dieux de lui retirer son immortalité pour qu’il puisse mourir. C’est ainsi que Pholos et Chiron, les deux seuls centaures bons et sages de la mythologie grecque, disparaissent.

[6] Les versions divergent sur le lieu et le moment du décès du sanglier.

[7] Puis de Ferri et Conrad à partir de 2013

[8] Il en existe un total de 38 à l’heure ou nous écrivons cet article

[9] Anachronique, nous en convenons

[10] Sous forme de bouillie ou de galette

[11] Proverbe latin : “Des goûts et des couleurs, on ne discute pas.”

Bibliographie

[1] « Symbolique du sanglier », Wikipédia. juill. 31, 2019, Consulté le: mai 17, 2020. [En ligne]. Disponible sur: https://fr.wikipedia.org/w/index.php?title=Symbolique_du_sanglier&oldid=161430074.

[2] « Sanglier », Wikipédia. mai 13, 2020, Consulté le: mai 17, 2020. [En ligne]. Disponible sur: https://fr.wikipedia.org/w/index.php?title=Sanglier&oldid=170811536.

[3] L. Rédaction, « Le sanglier chez les Celtes | Breizatao.com – Actualités ». https://breizatao.com/2013/06/25/le-sanglier-chez-les-celtes/ (consulté le mai 17, 2020).

[4] « The Pursuit of Diarmuid and Gráinne », Wikipedia. mars 13, 2020, Consulté le: mai 19, 2020. [En ligne]. Disponible sur: https://en.wikipedia.org/w/index.php?title=The_Pursuit_of_Diarmuid_and_Gr%C3%A1inne&oldid=945345360.

[5] « Twrch Trwyth ». http://www.legendsofwales.com/home/twrch-trwyth/ (consulté le mai 19, 2020).

[6] « Culhwch ac Olwen », Wikipédia. mars 08, 2020, Consulté le: mai 19, 2020. [En ligne]. Disponible sur: https://fr.wikipedia.org/w/index.php?title=Culhwch_ac_Olwen&oldid=168234472.

[7] E. Férard, « Quels sont les 12 travaux d’Hercule ? », Geo.fr, janv. 25, 2019. https://www.geo.fr/histoire/quels-sont-les-12-travaux-dhercule-194342 (consulté le mai 20, 2020).

[8] A. l’Athénien, « Chapitre 5 », in La Bibliothèque, Paris: Delance et Lesueur, 1805, p. 33‑277.

[9] « La cuisine des Gaulois : à table avec Vercingétorix et ses amis », Momes.net, mars 11, 2020. http://www.momes.net/Apprendre/Histoire-et-geographie/Histoire/Le-menu-des-Gaulois-que-mangeaient-Vercingetorix-et-les-siens (consulté le mai 21, 2020).

[10] Slate.fr, « Combien de sangliers et de «Par Toutatis» dans les 33 Astérix et Obélix? », Slate.fr, nov. 05, 2013. http://www.slate.fr/culture/79667/asterix-obelix-pictes-data (consulté le mai 21, 2020).

[11] « Au-delà de la gourmandise d’Obélix », Magazine I Arkhê, mai 03, 2018. https://www.arkhe-editions.com/magazine/au-dela-de-la-gourmandise-dobelix/ (consulté le mai 25, 2020).