Le sanglier dans tous ses états! Chapitre premier : Anatomie, éthologie, pâté
Le sanglier est au porc commun ce que le football gaélique est à son populaire cousin. Il en est la version débridée, hargneuse mais respectueuse, ancrée dans une culture ancestrale. Dans cette série de quatre articles, nous avons décidé de vous révéler les secrets de celui qu’on nommait jadis la Bête Noire. Vous apprendrez à le reconnaître et le comprendre. Vous le connaîtrez tour à tour mythique, craint, caché, chassé. Vous le trouverez à la table du banquet gaulois, dans les mots de ceux qui l’ont croisé, dans le cœur de ceux qui le portent fièrement, en jaune et noir…
Un épais pelage roux noirâtre, tel une armure. Un groin en guise de tête chercheuse. Quatre canines et une mâchoire d’acier : apprenons aujourd’hui à reconnaître un sanglier et à comprendre son mode de vie. Bonne lecture !
D’après le Dictionnaire culturel en langue française, le sanglier est un mammifère ongulé de la famille des suidés[1], un porc sauvage au corps massif et vigoureux, à la peau épaisse garnie de soies dures. Omnivore, il vit dans les forêts et les fourrés marécageux. Son nom latin est sus scrofa, mais le mot sanglier vient du latin médiéval singularis porcus, littéralement « porc qui vit seul ». Présent sur l’ensemble du territoire français, on le trouve aussi dans de nombreuses régions d’Europe, ainsi qu’en Asie, en Afrique du Nord ou en Océanie. Sa morphologie est proche – surtout de loin – du porc vulgaire (sus domesticus). Le dimorphisme sexuel est marqué au sein de l’espèce.
Son pelage sombre fait jusqu’à 3 centimètres d’épaisseur. Sa tête est appelée hure et se termine par un groin appelé boutoir qui lui sert surtout à fouiner vigoureusement pour manger. Son odorat est fin, et l’on peut imaginer qu’il lui soit possible de repérer à bonne distance Roger, fusil sur l’épaule de bon matin, dégageant une forte odeur de Gitane et de Beaujolais nouveau. Sa gueule comporte 4 canines, 2 en haut, 2 en bas, qui n’ont pas les mêmes fonctions chez la laie ou le sanglier mâle. Chez la femelle, elles sont peu développées et aiguisées (les fameuses dents de laie). Mais elle a de la gueule et la pression exercée par ses mâchoires peut aussi faire des dégâts, surtout quand elle sent ses petits menacés. Les canines du mâle sont elles des armes redoutables. Telles deux Opinel bien aiguisés, celles de la mâchoire supérieure sont appelées défenses[2] et peuvent découper ou sectionner ; celles de la mâchoire inférieure, les grés, servent à aiguiser les premières. Lorsque le sanglier devient Solitaire (voir ci-après), ses défenses se courbent et deviennent inefficaces.
Vers octobre, les sangliers mâles s’adonnent à ce qui ressemble d’assez près à un engagement de All Ireland : ils se mettent sur la hure. Le gagnant a les faveurs de la femelle sanglier, la laie (on vous fait pas de dessin[3]). Quatre mois plus tard naissent de beaux petits marcassins (3 à 8, pour vous donner une belle fourchette[4]). Ils ont le poil rayé, mais celui-ci n’est pas encore la résistante cuirasse paternelle. S’il n’est pas mangé par un renard ou choisi comme star du « Marcassin rôti », recette 949 de La cuisine pour tous de Ginette Mathiot, le marcassin a la chance de devenir bête rousse après 6 mois d’existence (tout au long de sa vie, on pourra d’ailleurs lui donner tout un tas de petits surnoms, tier-ans à 3 ans, quartanier à 4, puis Vieux-sanglier, puis Grand vieux-sanglier, et enfin Solitaire).
Le sanglier de Liffré partage son temps entre sa maison et le Gué de Mordrée (son terrain d’entraînement). Le sanglier tout court vit lui sur un domaine allant de 500 à 3000 hectares (une grande fourchette cette fois[5]). Le jour, il se prélasse dans un bassin peu profond creusé par ses soins dans un sous-bois, sous les branches d’un épicéa ou entre les racines d’un arbre fauché par la tempête. Ce bassin, appelé bauge, peut abriter un ou plusieurs sangliers. En effet, il n’est pas rare que les « cochons de la forêt[6] » se la jouent collectif (comme leurs alter ego liffréens) au sein d’une harde. Néanmoins, ils optent pour la sédentarisation dès lors qu’ils disposent de suffisamment de ressources pour subsister seuls.
Le sanglier, à l’instar des jaune et noir, est un bon mangeur (cf. les entrainements PPVR[7]). Un nocturne aussi. C’est en effet seulement à la nuit tombée qu’il quitte la bauge, bien décidé à trouver de quoi se rassasier. Comme son cousin le cochon, il aime le gland[8]. C’est pour lui, avec les faines (fruit du hêtre), la base d’un bon repas. Il se délecte aussi volontiers de tubercules forestiers, de racines de fougères[9],de fruits du cornouiller (arbuste), ou de céréales au milieu des champs.
Vous vous dites sûrement que le sanglier est un herbivore en puissance, peut-être même un écolo-vegan[10] ! Détrompez-vous, il avale aussi de petits animaux, principalement tendres (moins de 10% de son alimentation). Au menu, larves et autres escargots [11], et même oisillons, levrauts, hérissons ou vipères ! Jean Henri Fabre, célèbre naturaliste du XIXème siècle, brosse un portrait à charge du sanglier affamé :
« la nourriture végétale ne suffit pas à sa voracité. S’il connaît un étang poissonneux, il en bouleverse les rives pour atteindre les anguilles réfugiées dans la vase ; s’il sait un terrier de lapins, il le saccage en creusant profonde tranchée et culbutant les pierres à coups de boutoir. Il surprend la perdrix au nid et dévore mère et couvée ; il broie les lapereaux au gîte ; il happe pendant leur sommeil les jeunes faons du cerf et du chevreuil. (…) Toute la nuit se passe en semblables déprédations ; puis la bête regagne sa bauge aux premières lueurs du jour »
Fabre, J.-H., 2002. Récits sur les insectes, les animaux et les choses de l’agriculture, Actes Sud. ed, Thesaurus. Actes Sud.
Pas mauvais naturaliste, Jean Henri Fabre aurait fait un bien piètre devin. Il déclare en effet dans le même bouquin :
« les sangliers deviennent chez nous de jour en jour plus rares et sont destinés à disparaître tôt ou tard, comme ils ont déjà disparu de l’Angleterre, où leur race a été exterminée jusqu’au dernier, ainsi que celle des loups. »
Fabre, J.-H., 2002. Récits sur les insectes, les animaux et les choses de l’agriculture, Actes Sud. ed, Thesaurus. Actes Sud.
Il ne reste actuellement pas moins de 1 million de sangliers sur le territoire français. Aussi, le sanglier est revenu en Angleterre. Comme quoi, chacun son métier ! Plus sérieusement, les populations de sangliers ont vu leurs effectifs quadrupler en vingt ans en Europe. Cette augmentation donne lieu au développement d’un certain nombre de risques, parmi lesquels les dégâts agricoles et forestiers, les risques épidémiologiques ou encore les accidents de la route. C’est pourquoi des plans de régulation de l’espèce ont vu le jour.
Le sanglier est par conséquent chassé. Malheureusement pour eux, et bien qu’ils courent vite malgré leur poids pouvant dépasser les 200kg (80 km/h de vitesse de pointe), plus d’un demi-million sont tués (ou “prélevés”) chaque année. La chasse au sanglier est un des vecteurs de régulation de l’espèce, le plus « efficace » sans aucun doute. Néanmoins, selon l’Office national de la chasse et de la faune sauvage (ONFS), « la chasse a été plutôt à l’origine de l’accroissement des populations par une forte tendance à la capitalisation des animaux reproducteurs. ».
Le sanglier a de quoi se défendre. En plus de sa vitesse, son pelage (voir ci-avant) fait office par endroits de gilet pare-plombs. De plus, il est capable de charger s’il se sent menacé, et de se débattre violemment s’il est acculé par des chiens de chasse (qui n’en ressortent pas toujours indemnes). Côté éthologie[12], le sanglier a été peu étudié. On peut néanmoins évoquer les quelques travaux portant sur son « cousin comme cochon », plus étudié (mais pas tant que ça) car voué à l’élevage. En 1997, un porc nommé Hamlet réussit à jouer avec une manette d’ordinateur permettant de bouger un objet virtuel dans une zone colorée. Selon Yves Christen, biologiste et éthologue, « aucun chien (…) n’est capable de faire cela aussi bien ». En 2009, Broom et al. de l’Université de Cambridge rapportent les résultats d’une expérience mettant en lumière la capacité du porc à avoir conscience de soi et à se reconnaître dans un miroir.
Le sanglier, comme le porc, est un adepte des bains de boue. Bien loin de l’idée reçue, cela constitue le signe d’une hygiène corporelle soignée. Couvert d’une couche de boue, le sanglier est protégé des puces et des coups de soleil. De plus, il se frotte régulièrement à l’écorce des arbres pour se débarrasser de ses parasites. Via cette pratique, il a été prouvé que le sanglier jouait un rôle dans la dissémination des spores végétales, notamment venues de zones humides (Heinken et al.), contribuant ainsi à la résilience écologique de la forêt après des chablis[13] ou incendies.
Il parait important de rappeler que le sanglier n’est pas violent par nature envers l’Homme. Il le devient lorsqu’il ressent une menace, pour sa vie, ou pour ses petits.
« Il est rare d’entendre le sanglier jeter un cri, si ce n’est lorsqu’il se bat et qu’un autre le blesse : la laie crie plus souvent. Quand ils sont surpris et effrayés subitement, ils soufflent avec tant de violence qu’on les entend à une grande distance. »
De Cahusac, L., 1765. Sanglier. L’Encyclopédie de Diderot.
Pour conclure, on peut dire que le sanglier est un animal omnivore au mode de vie essentiellement nocturne. Plutôt sédentaire, il est aussi capable d’évoluer au sein d’une harde. Armé pour se défendre en cas de nécessité, il est capable de s’adapter aux pressions anthropiques. Il est ainsi globalement en prolifération sur le territoire européen. La chasse est un des moyens utilisés pour réguler l’espèce, bien qu’on lui reproche parfois de maintenir, voire développer les effectifs. Si le sanglier ne sort pas indemne d’une partie de chasse, le chasseur peut décider d’en faire du pâté. Nous n’épiloguerons pas sur ce sujet, mais nous redirigeons le lecteur vers ce lien de recette de pâté.
Au menu la semaine prochaine: le sanglier dans la mythologie et la culture, par Toutatis !
Notes
[1] Famille de mammifères artiodactyles (nombre pair de doigts par pied) dont les canines sont développées et dont les pattes ont quatre onglons. ↩
[2] La défense, attribut solide du sanglier, est inexistante chez le bélier par exemple. ↩
[3] Le sanglier est une espèce polygyne, il peut s’accoupler avec plusieurs laies. Une même laie peut aussi donner naissances à une unique portée de plusieurs mâles différents. ↩
[4] A sortir pour les grandes occasions. ↩
[5] Pratique pour manger des grandes patates, par exemple. ↩
[6] Surnom inventé mais c’est plutôt joli, non ? ↩
[7] Comprenez Pain, Pâté, Vin Rouge. ↩
[8] C’est toi le cochon si tu as pensé à ça ! ↩
[9] En espérant que Fougères reprenne vite racine. ↩
[10] Sous espèce de bobo, ne pas confondre avec Bobo (Antoine Botrel, meilleur marqueur du club, mais pas sûr). ↩
[11] Son cousin Pumbaa, célèbre phacochère, est aussi adepte des escargots. ↩
[12] Science qui étudie l’évolution du comportement animal. ↩
[13] Déracinements d’arbres dus à des évènements naturels (vent, foudre, neige, chute d’un autre arbre) ou à des caractéristiques propres (vieillesse, pourriture, mauvais enracinement). ↩
Bibliographie
[1] C. Déom, « La compagnie des bêtes noires », La hulotte, no 23, p. 40, semestre 2004.
[2] J.-H. Fabre, Récits sur les insectes, les animaux et les choses de l’agriculture, Actes Sud. Actes Sud, 2002.
[3] A. Ray, « Sanglier », Dictionnaire culturel en langue française, vol. 4, 4 vol. p. 2083, déc. 2005.
[4] « Oncfs – Le Sanglier ». http://www.oncfs.gouv.fr/Connaitre-les-especes-ru73/Le-Sanglier-ar994 (consulté le mai 09, 2020).
[5] B. Bathurst, « Here comes trouble: the return of the wild boar to Britain », The Observer, mars 04, 2012.
[6] « Le sanglier (laie et marcassin) : comment et où vit-il ? Tout savoir sur le sanglier », Le Mag des Animaux. https://lemagdesanimaux.ouest-france.fr/dossier-86-sanglier-laie-marcassin.html (consulté le mai 09, 2020).
[7] « Sanglier », Wikipédia. avr. 28, 2020, Consulté le: mai 09, 2020. [En ligne]. Disponible sur: https://fr.wikipedia.org/w/index.php?title=Sanglier&oldid=170155397.
[8] D. M. Broom, H. Sena, et K. L. Moynihan, « Pigs learn what a mirror image represents and use it to obtain information », Animal Behaviour, vol. 78, no 5, p. 1037‑1041, nov. 2009, doi: 10.1016/j.anbehav.2009.07.027.
[9] G. Mathiot, La cuisine pour tous, Le Livre de Poche.
[10] L. De Cahusac, « Sanglier », L’Encyclopédie (Diderot), 17 vol. 1765.
[11] T. Heinken, M. Schmidt, G. von Oheimb, W.-U. Kriebitzsch, et H. Ellenberg, « Soil seed banks near rubbing trees indicate dispersal of plant species into forests by wild boar », Basic and Applied Ecology, vol. 7, no 1, p. 31‑44, janv. 2006, doi: 10.1016/j.baae.2005.04.006.
[12] « L’intelligence des animaux d’élevage #1 : le cochon – Le Point ». https://www.lepoint.fr/sciences-nature/l-intelligence-des-animaux-d-elevage-1-le-cochon-25-02-2017-2107458_1924.php (consulté le mai 12, 2020).
[13] « Chablis (arbre) », Wikipédia. avr. 13, 2020, Consulté le: mai 15, 2020. [En ligne]. Disponible sur: https://fr.wikipedia.org/w/index.php?title=Chablis_(arbre)&oldid=169517322.
[14] E. Universalis, « ÉTHOLOGIE », Encyclopædia Universalis. https://www.universalis.fr/encyclopedie/ethologie/ (consulté le mai 15, 2020).